Entre les 4 et 7 mai 2023, se sont déroulées les rencontres Géole à Izeste (Pyrénées-Atlantiques), organisées cette année par l’association GéolVal pour le compte de la section Géole de la Société géologique de France. Dans un cadre majestueux au pied des Pyrénées, nous avons pu échanger sur nos actions récentes sur nos territoires respectifs, découvrir les actions menées par GéolVal en Béarn et en Bigorre, notamment la Route Géologique Transpyrénéenne et le Géotrain, et mener une réflexion sur l’usage des outils numériques dans la médiation scientifique en géologie.

De cette réflexion collective est bien sûr née une réflexion plus personnelle par rapport à cette problématique.

Des outils et des supports numériques au service de la médiation scientifique, mais à quelles fins ?

Derrière la terminologie d’outils numériques se cache une diversité de moyens de présenter un contenu de médiation au public. Déjà populaires depuis de nombreuses années, les vidéos publiées sur les grandes plateformes de diffusion sont un contenu qui permet de recueillir directement la parole de l’expert ou du médiateur tout en l’illustrant avec des prises de vues ou des infographies en parallèle. Cependant, un tel contenu garde le public dans un état général de passivité vis-à-vis de ce qui lui est présenté.

Avec la démocratisation des smartphones, le public a en permanence un support numérique dans sa poche qui ne demande qu’à être agrémenté d’applications pour améliorer son expérience et lui proposer une nouvelle manière de découvrir son environnement proche, tout en lui proposant d’être actif dans son exploration. C’est de ce constat qu’apparaissent les applications de réalité augmentée qui exposent le regard du géologue sur le paysage ou le sous-sol à travers l’écran du visiteur. En s’appuyant sur l’environnement, le public peut également adopter une nouvelle posture qui lui est proposée : celle de jouer dans un imaginaire où il évolue aussi bien dans un monde virtuel que dans le monde réel.

Et au-delà du réel, la réalité virtuelle propose une expérience immersive où le public peut autant être spectateur qu’acteur dans le contenu qui lui est montré. Les 5 sens peuvent être sollicités et des lieux, des temps ou des concepts inaccessibles deviennent, le temps de quelques minutes, tangibles.

Une médiation scientifique avec des outils numériques, mais sans remplacer l’humain

Cependant, cet ensemble d’outils et de supports s’accompagne aussi de l’idée qu’ils doivent permettre au public d’être autonome dans sa découverte. Si certains supports peuvent effectivement être bien conçus dans cet objectif, notamment en offrant la possibilité de jouer, nombre de concepts développés restent avant tout un supplément bonus focalisé sur la forme. Et au-delà de cette idée de l’autonomie du public, arrive l’idée de moins impliquer directement l’humain dans l’action de médiation, laissant le numérique faire le travail. Pourtant, l’acte de médiation reste fondamentalement un acte de transmission d’un humain à un autre dans un cadre social qu’aucun ordinateur ou casque VR ne peut totalement remplacer. Il n’est pas question de remettre en cause le développement des outils numériques de médiation, mais ceux-ci doivent être développés et utilisés en réponse à un concept de médiation bien construit qui inclus l’humain.

Penser l’outil avant de penser le message et le messager, c’est risquer de réussir la forme en surface apparente, mais d’échouer sur toute la ligne. En exemple, nombreux sont les cas de jeux vidéo en réalité virtuelle qui ont été pensés uniquement pour favoriser l’immersion de la joueuse/du joueur au point que si cet aspect est réussi, le reste, notamment la jouabilité, le sont bien moins. Et un bon jeu vidéo en réalité virtuelle ne doit pas avoir seulement une bonne VR, il doit aussi être un bon jeu vidéo à la base !

Un autre point fondamental qui me parait important de garder en tête : la géologie est une science naturelle. Le travail du géologue est de décrire et de comprendre des processus naturels à partir d’éléments observables ou obtenables dans la nature. Cantonner la médiation d’une science naturelle à l’utilisation d’artefacts et d’artifices numériques, c’est perdre le sens même de notre discipline et c’est brouiller le message à transmettre, ce qui est particulièrement dommageable pour science déjà très mal connue du grand public.

La géologie des jeux vidéo : les imaginaires numériques au service de la médiation scientifique

Cependant, au-delà des outils et des supports, le numérique peut également appuyer la médiation par son expression artistique et notamment avec un médium qui allie interactivité, imaginaire, science et art : le jeu vidéo. Sans aller jusqu’à la réalité virtuelle, il peut devenir une nouvelle porte d’entrée pour la médiation scientifique en géologie et ce grâce aux imaginaires qu’il propose.

Encore parfois présenté comme un média récent, le jeu vidéo affiche pourtant déjà un âge respectable de plus de 50 ans avec des dizaines de milliers d’œuvres publiées dans des genres très variés, ce qui en fait un réservoir d’imaginaires qui traverse les générations. Comme toute création artistique, le jeu vidéo s’inspire d’éléments de la vie réelle pour créer ses imaginaires, autant pour les environnements que le scénario ou les personnages, et la géologie n’y fait pas exception.

Du minerai d’uranium vert fluo dans Civilization V (2010) – © 2K Games/Firaxis Games

Plusieurs genres de jeux, comme les jeux de stratégie (Age of Empires, Civilization, Stellaris…) ou les jeux de type SECO – survie, exploration, construction, optimisation – (Minecraft, Astroneer…) présentent comme concept central d’exploiter et de transformer des ressources pour progresser, et notamment des ressources minérales. La représentation de ces ressources peut utiliser des formes et des textures se rapprochant de la réalité. A l’inverse, certaines formes ou couleurs employées peuvent s’en éloignées, mais elle font cependant appel à un imaginaire collectif qui facilite la reconnaissance des différentes ressources pour la joueuse/le joueur et donc leur gestion. Car ce que cherchent les studios de développement avant le réalisme, c’est optimiser le gameplay pour apporter une expérience de jeu agréable et gratifiante.

La représentation de paysages dans les jeux vidéo expose également des éléments géologiques qui peuvent en être l’élément central. C’est notamment le cas des environnements volcaniques, bien souvent représentés avec un édifice de type cône ou de type stratovolcan et crachant des coulées de lave fluide. Selon les jeux, ces représentations sont plus ou moins concordantes avec la réalité. Une fois encore, c’est l’exotisme et le dépaysement qui sont prioritairement recherchés pour rendre le monde merveilleux et immersif pour la joueuse/le joueur, mais également le danger qui est plus facilement identifiable avec des représentations vives rougeâtres.

Le danger bien marqué par la lave vive et fluide dans Ori and the Blind Forest: Definitive Edition (2016) – © Moon Studios/Xbox Game Studios

D’une manière générale, les représentations d’éléments géologiques proposées par les jeux vidéo sont simplifiées, voire erronées par rapport à la réalité. Cependant, ces différences entre l’imaginaire et la réalité sont autant de points d’accroche pour le médiateur pour emmener le public dans le monde de la géologie en faisant appel à un imaginaire apprécié et partagé collectivement.


Le développement d’outils numériques tels que le jeu vidéo, la réalité augmentée ou la réalité virtuelle dans les actions de médiation scientifique favorisent une nouvelle forme d’interactivité active entre l’objet de la médiation et le public.

Cependant, cela ne peut en aucun cas remplacer l’humain comme accompagnateur et acteur de la médiation, bien au contraire. Les nouvelles perceptions et expériences offertes au public ne peuvent être que décuplées si elles s’accompagnent d’un narratif et d’un appel à l’imaginaire que seule une personne chargée de la médiation peut offrir.